Dette et extractivisme
- Scarlett
- Mar 25
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Intervention de Scarlett de Dette Pour Le Climat lors de Stop Pillage, le contre-sommet sur les matières premières tenu en mars 2025 à Lausanne.
Dette pour le Climat est un mouvement de mouvements, initié par le Sud Global dans une perspective anticoloniale. Nous construisons un pouvoir populaire en unissant les syndicats, les communautés autochtones et locales, les féministes et les mouvements religieux, écologiques, sociaux et de justice climatique dans le Nord et le Sud de la planète. Notre objectif est d'annuler la dette financière illégitime du Sud afin d'arrêter l'exploitation et l'extractivisme et de permettre une transition juste et autodéterminée.
Pour nous, la dette est une relation de pouvoir et de profit, c'est un instrument de chantage, c'est une continuation du colonialisme, c'est un piège. En un mot, c'est de l'exploitation
Dans l'une de ses études (1), Jason Hickel (anthropologue économique) fournit quelques calculs. Entre 1995 et 2015, le Nord global a pris au Sud global:
12 milliards de tonnes de matières premières.
822 millions d'hectares de terres - à titre de référence, c'est presque la taille de la Russie.
L’équivalent de 188 millions de personnes par an de main-d'œuvre: À titre de comparaison, imaginez ceci : toute la population de la Colombie et de la RDC travaille pour le Nord, le troisième pays le plus peuplé d’Abya Yala et le deuxième d’Afrique.
392 milliards d'heures de travail, soit 44 millions d'années.
22,8 billions de dollars américains.
Thomas Sankara, ex-président du Burkina Faso, l'a souligné dans son appel à l'annulation solidaire de la dette peu avant son assassinat en 1987. Le Nord mondial draine le Sud des produits de base d'une valeur de 2 200 milliards de dollars par an. À titre de comparaison, cette somme suffirait à mettre fin à l'extrême pauvreté dans le monde, 15 fois. Tant que la dette existera, l'exploitation, l'extractivisme et le capitalisme ne s'arrêteront pas et ne tomberont pas.
Je vais vous donner quelques exemples de cas où les créanciers ont forcé les pays du Sud à exploiter leurs ressources pour payer leurs dettes et leurs intérêts, sans trop entrer dans les détails. Tous ces exemples sont tirés d’un document de Debt For Climate que vous pouvez consulter ici, avec les sources.
Le Sénégal a été mis sous pression par la Banque Mondiale pour s’ouvrir à plus d’extraction de pétrole et de gaz par des entreprises australiennes, américaines ou britanniques. Le FMI se réjouit de cette croissance alimentée par les énergies fossiles.
De récentes négociations ont donné aux créanciers le droit à 30 % des revenus pétroliers du Suriname jusqu'en 2050.
L’Équateur planifie de doubler sa production de pétrole entre 2022 et 2025 afin de payer sa dette extérieure.
Le FMI a poussé l’Argentine à permettre à des entreprises européennes et américaines de faire du “fracking” à Vaca Muerta, négligeant la forte opposition des communautés locales et indigènes.
Le FMI a présenté l’extraction de charbon et de gaz comme une solution à la crise de la dette et aux désastres climatiques au Mozambique.
Si un pays tente d’annuler des projets pétroliers, le “Règlement des Différends Investisseur-État” pourrait lui coûter des milliards, accélérant ainsi l’endettement du pays. Des gouvernements du Sud ont déjà été contraints de verser 100 milliards de dollars à des entreprises de charbon, pétrole, gaz, électricité et des industries minières en réponse à des mesures climatiques ou environnementales que ces gouvernements avaient mis en place.
Rien qu’entre 2015 (année de la signature des accords de Paris) et 2021, le FMI a approuvé ou directement soutenu l’expansion de l’infrastructure pétrolière dans 105 pays.
L'annulation de la dette des pays du Sud a du sens à plusieurs niveaux. Nous avons des ressources d'une valeur de plusieurs milliards de dollars qui se trouvent encore dans le sol de ces pays, ainsi qu'une dette de plusieurs milliards de dollars que ces pays doivent au Fonds Monétaire International, à la Banque Mondiale, à BlackRock et à d'autres investisseurs privés.
Au nom de cette dette, ces pays, par le biais de ce qu'ils appellent la diplomatie du piège de la dette (le terme correct est chantage si vous voulez mon avis), sont forcés d'accepter davantage de projets extractivistes qui profitent à des entreprises et des personnes déjà follement riches.
Et il ne s'agit pas seulement des pays du Sud. Ce sont les mêmes personnes, les mêmes pouvoirs concentrés et les mêmes institutions qui exploitent les travailleurs et les populations d'ici, au Nord. Il s'agit des entreprises qui réalisent des profits records, du système financier colonialiste qui appauvrit les gens, et du 1% de riches qui est responsable de deux fois plus d'émissions que 50% des personnes les plus pauvres du monde.
Que pouvons-nous faire ? Nous devons nous mobiliser. Nous devons faire front commun ici, dans le Nord global, pour soutenir le front uni qui prend de l'ampleur dans le Sud global.
En tant que Debt Pour Le Climate, nous lançons un appel à la mobilisation mondiale autour de deux événements cette année. L'un de ces événements est Finance for Development, qui aura lieu à Séville cet été. Pourquoi est-il important de se mobiliser contre cette conférence ? Dans le cadre de ce processus, sous l'égide des Nations Unies, il est prévu de restructurer l'architecture financière et l'un des principaux sujets à l'ordre du jour politique est l'échange de dettes (debt swaps). J'espère que tout le monde est d'accord pour dire que ces échanges de dettes sont une fausse solution d'écoblanchiment.
La Suisse joue un rôle important à cet égard. Les banques suisses ont été profondément impliquées dans les échanges de dettes qui ont eu lieu ces dernières années, mais il y a peu d'informations qui peuvent être trouvées publiquement.
Notre deuxième mobilisation mondiale aura lieu autour de la COP30, du 10 au 21 novembre à Belem, au Brésil. À Abya Yala, nous organisons la Caravana Mesoamericana qui rassemblera des mouvements et des collectifs à Belem. Une caravane similaire partira de New York et d'Europe, un groupe voyagera par bateau.
En Afrique, nous organiserons de nombreuses actions décentralisées tout au long de l'année, et les nations africaines réclament clairement une convention des Nations Unies sur la dette.
Avec nos camarades du CADTM, nous préparons une campagne pour réclamer des audits de la dette, un processus populaire essentiel à l'annulation des dettes. Nous sommes en train de discuter de l'organisation d'une AntiCOP ici en Europe également.
L'annulation de la dette est possible. Elle s'est produite à de nombreuses reprises dans l'histoire. Il s'agit d'une tradition ancienne qui consistait à annuler périodiquement la dette, à redistribuer les terres et à libérer les esclaves. C'était possible pour l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Cela a été possible dans les années 2000, lorsque, grâce aux campagnes Jubilee 2000 et Jubilee Sud, 130 milliards ont été annulés. C’est possible aujourd’hui avec suffisamment de pression politique et de pouvoir populaire. Il est important de soutenir nos camarades du Sud dans leur lutte contre ce système financier. Alors unissons-nous pour annuler les dettes illégitimes !
(1) Imperialist appropriation in the world economy: Drain from the global South through unequal exchange, 1990–2015. Jason Hickel, Christian Dorninger, Hanspeter Wieland, Intan Suwandi. Global Environmental Change Volume 73, March 2022.
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